Intelligence artificielle & Révolution de la rédaction de contenu, vraiment ?

Le 14 mars 2023, j’ai été invitée par le SMX Paris pour donner mon avis et débattre autour du sujet « L'IA va-t-elle révolutionner la création de contenu dans le SEO ? ». Laurent Rignault a animé la discussion entre Thomas Leonetti, Paul Sanches, Philippe Yonnet, et moi-même

En premier lieu, les éléments ne sont que les débuts d’une longue réflexion. La question de l’intelligence artificielle et de ses applications dans le domaine de la création est un sujet passionnant. Elle renouvelle notre point de vue sur nos métiers. 

En tant que prestataire de services, Assonance est bien entendu influencée par l’émergence des outils de l’intelligence artificielle accessibles au grand public. Tout d’abord, nous devons étudier l’ensemble des opportunités apportées par cette technologie. C’est une recherche que nous réalisons en dilettante depuis plusieurs années déjà. Nous testons l’ensemble des dispositifs d'automatisation des tâches récurrentes. Plusieurs interventions ont déjà été faites en ce sens, notamment au SEO Camp’us pour parler d’industrialisation de contenu e-commerce pour des marques exigeantes, ou d’optimisation des workflows au dernier Women in Tech SEO Festival (UK) 2023

Dans un second temps, notre rôle de consultant exige une veille constante. Nous devons  être en mesure de répondre aux interrogations de nos clients : pour utiliser de l’IA dans leurs projets, et pour mesurer les risques de l’avènement de l’IA qui pourrait aussi être utilisée par des concurrents. Les derniers lancements de produits comme ChatGPT et les annonces d’OpenAI concernant GPT-4, ou encore celles de Google pour Bard, nous encouragent à nous pencher très sérieusement sur la question. Il s’agit d’une redistribution des cartes pour nos métiers, mais aussi pour l’ensemble des marchés pour lesquels nous intervenons.

Ne pas résumer la création de contenu à la seule rédaction

Je commence par ce sujet volontairement. Aujourd’hui, l’arrivée de ChatGPT a fait réaliser à de nombreux acteurs du web marketing que nous pouvions effectivement automatiser et/ou déléguer la création de contenu à une machine. Cette idée est loin d’être nouvelle, tant les outils d’assistance à la rédaction s’offrent déjà une belle visibilité sur le marché. Dans le domaine du SEO bien entendu, des outils comme ceux que nous utilisons tels que YourText.Guru, Babbar, Kill Duplicate, Semrush nous apportent déjà de nombreuses données pour raccourcir ce temps passé devant son écran en se demandant par quoi commencer.

Mais notre travail, et le temps passé à chercher à être plus efficaces et créatifs, nous offrent aussi l’opportunité de détourner des outils de leurs usages premiers. C’est ainsi que nous aimons fouiller du côté des bases de données d’informations que nous ne consultons pas forcément pour les raisons que vous pensez.

Schéma de description d'un processus créatif pour la rédaction d'un contenu Web, de l'idée à la publication en passant par l'optimisation.

Nous, et l’ensemble des professionnels de l’écriture Web n'avons pas attendu les travaux d’OpenAI pour automatiser nos process et chercher à gagner du temps. Je pense que nous pouvons même dire que nous n’avons pas attendu l’arrivée de l’informatique si nous cherchons du côté des méthodes d’organisation analogiques déjà existantes. Le schéma ci-dessus vous présente un exemple de déroulement de projet découpé par tâches. Il y a sûrement des oublis ou des détails à ajouter. Nous y voyons bien la très petite place que prend l’étape « rédaction » au sein de ce processus créatif. Les phases préliminaires d’audit et de réflexion stratégique n’ont pas été posées dans ce schéma. J’irais même jusqu’à dire que la partie « rédaction » n’est pas toujours la plus intéressante. 

Écrire et obtenir un texte fini ne sont pas les résultats d’une action magique et spontanée. Comme s’il suffisait de prendre un clavier quelques minutes ou quelques heures pour arriver à quelque chose de satisfaisant. Pour soi ou pour un tiers. La personne qui rédige n’est que très rarement seule. Même si elle peut s’enfermer dans son bureau un temps, il est exceptionnel qu’elle soit la seule et unique décisionnaire. C’est une situation que nous pourrions retrouver dans l’auto-édition, et encore, seulement si nous conservions l’illusion qu’un auteur n’est jamais influencé par l’avis d’une autre personne, qui devient  alors à son tour en quelque sorte un contributeur.

Image générée par l’intelligence artificielle (source : https://yourtext.guru/)

C’est la raison pour laquelle je conseille de prendre du recul sur l’ensemble des outils de génération de contenus. D’une part, la rédaction du texte lui-même n’est qu’une toute petite partie de l’ensemble du travail de création. D’autre part, nous aurions tort d’attribuer à ces outils (actuels) la capacité de deviner et/ou fusionner la totalité de nos besoins et exigences.

L’utilisation de ces outils nous amène à nous demander également « de quel niveau d’automatisation ai-je vraiment besoin ? ».  J’ai le sentiment que l’on fantasme aujourd’hui des intelligences artificielles omniscientes qui pourraient satisfaire tous nos désirs. Parmi les différentes étapes du schéma précédent, il n’y en a pas une seule que nous ne réalisons pas déjà en étant au minimum assistés par un outil, un logiciel ou plus simplement un script développé pour un besoin précis.

Il faudrait donc différencier les besoins et les capacités d’une IA entre création autonome et création assistée.

Finalement, on peut aussi se poser la question de l’attribution du statut de créateur. Pourrait-on dire qu’il s’agit uniquement de l’utilisateur, du concepteur d’une IA, de la personne qui entraîne l’IA(1) ou tout simplement de la société propriétaire de l’IA ? Ou l’employeur de l’utilisateur ? Traditionnellement, nous avons tendance à reconnaître un auteur ou un créateur en général en fonction des traces qu’il laisse dans sa création. C’est même ainsi que l’on peut également expertiser des œuvres d’art, ou que l’on attribue des œuvres à des artistes malgré l’absence de signature évidente. Ce sont également ces traces qui permettent de définir une notion d’originalité, de singularité. C’est l’aspect unique d’une création qui la rend si précieuse(2).

Nous pourrions également tenter de différencier dans la rédaction d’un contenu les niveaux d’intervention de chaque acteur : 

  • le concepteur,

  • l’éditeur,

  • le rédacteur,

  • le contributeur,

  • le relecteur, 

  • l’intégrateur… 

Comme pour un film, où nous avons un réalisateur, un scénariste, un directeur de la photographie, des acteurs, des monteurs… le contenu Web devrait sans doute être considéré en tant qu’œuvre collective, surtout avec l’assistance de l’IA.

Mais le fonctionnement d’une agence artificielle entraîne une réflexion qui va encore plus loin. Plus précisément, il s’agit d’identifier la vraie source. En effet, lorsque nous sommes traditionnellement en phase de recherches, nous sommes censés relier des idées ensemble, en faire naître de nouvelles, les traiter et les mettre à plat avec des mots. Cependant, lorsque les contenus d’un training set sont utilisés comme les ingrédients d’une recette de cuisine… Les auteurs des contenus dans le training set peuvent-ils revendiquer le fait d’être un co-auteur des créations générées par l’IA ?

Il existe un droit d’utilisation des ressources mises à la disposition du public pour des fins de recherches scientifiques

Le droit de l’Union prévoit certaines exceptions et limitations portant sur des utilisations à des fins de recherche scientifique qui peuvent s’appliquer aux actes de fouille de textes et de données. Cependant, ces exceptions et limitations sont facultatives et ne sont pas entièrement adaptées à l’utilisation de technologies dans le domaine de la recherche scientifique. En outre, lorsque les chercheurs ont accès de manière licite à du contenu, par exemple au moyen d’abonnements à des publications ou de licences en libre accès, les conditions des licences pourraient exclure la fouille de textes et de données. Comme les recherches s’effectuent de plus en plus avec l’aide de la technologie numérique, la compétitivité de l’Union en tant qu’espace de recherche risque d’en pâtir, à moins que des mesures ne soient prises pour remédier à l’insécurité juridique concernant la fouille de textes et de données.
— DIRECTIVE (UE) 2019/790 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE

Parallèlement, une exception et limitation de cet usage serait possible. Pour cela, la main est laissée au détenteur des droits du contenu susceptible d’intégrer un training set (corpus de données utilisées par l’IA). Celu i-ci doit signifier par un moyen compréhensible par le robot son « opt-out » : 

Les copies et reproductions numériques effectuées lors d’une fouille de textes et de données sont stockées avec un niveau de sécurité approprié et peuvent être conservées à des fins exclusives de recherche scientifique, y compris pour la vérification des résultats de la recherche.” [...] Sans préjudice des dispositions du II, des copies ou reproductions numériques d’œuvres auxquelles il a été accédé de manière licite peuvent être réalisées en vue de fouilles de textes et de données menées à bien par toute personne, quelle que soit la finalité de la fouille, sauf si l’auteur s’y est opposé de manière appropriée, notamment par des procédés lisibles par machine pour les contenus mis à la disposition du public en ligne.
— Article L122-5-3n, Code de la propriété intellectuelle, URL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000044363192#:~:text=Les%20copies%20et%20reproductions%20num%C3%A9riques,des%20r%C3%A9sultats%20de%20la%20recherche.

Quel serait le visage d’une révolution pour la création de contenu en SEO ?

Entre celle qui se profile et celle que l’on souhaiterait, s’agit-il de la même révolution ? 

Tandis que certains acteurs souhaitent trouver une solution spontanée et applicable à toutes leurs problématiques de contenu grâce à l’IA, d’autres craignent pour leur profession et leur avenir matériel. Ces questionnements sont tout à fait légitimes. Ce sont aussi des sujets qui nous préoccupent, en tant que prestataires de services dont le métier tourne autour de l’éditorial… et fatalement de la rédaction.

Nous avons pris le parti de considérer l’intelligence artificielle en tant qu’outil supplémentaire. D’une part, car nous l'utilisons déjà afin d’automatiser des tâches spécifiques ou d’élargir nos horizons en accélérant des phases de recherche. D’autre part, car nous nous rendons compte que le gain de temps obtenu sur des tâches opérationnelles et répétitives ne nous permet pas pour autant de moins de travailler sur les tâches intellectuelles. Au contraire, l’intelligence artificielle ou tout procédé d’automatisation a tendance à nous accorder plus de disponibilité pour aller plus loin dans nos réflexions stratégiques, et pour la conception de contenu. C’est également plus de temps accordé à de la veille et à de la conception de prototypes pour aller vers l’innovation éditoriale. C’est pourquoi l’automatisation intégrée progressivement dans nos process depuis 2018 a même plutôt pour conséquence de faire augmenter nos tarifs, plutôt que de niveler nos offres vers le bas comme le craignent certains.

Il faut tenir également compte des coûts de :

  • licences (logiciels, outils SaaS, API), 

  • développement de scripts pour adapter ces technologies à nos propres besoins,

  • formation à l’utilisation,

  • évangélisation auprès des collaborateurs, clients, partenaires,

  • adaptation des process (conduite du changement),

  • et sûrement d’autres points auxquels je ne pense pas maintenant en écrivant ces mots.

L’intelligence artificielle revêt pour nous le rôle de tremplin pour monter en gamme et concevoir des contenus dont nous serions encore plus satisfaits. Les économies d’échelle réalisées favorisent, de notre point de vue d’agence, l’émergence de nouvelles idées. Nos cerveaux humains gagnent en disponibilité. Merci à toi, chère machine.


Vous pouvez également retrouver d’autres réflexions à ce sujet dans :

  • (1)  Deltorn, Jean-Marc and Macrez, Franck, Authorship in the Age of Machine learning and Artificial Intelligence (August 1, 2018). In: Sean M. O'Connor (ed.), The Oxford Handbook of Music Law and Policy, Oxford University Press, 2019 (Forthcoming) , Centre for International Intellectual Property Studies (CEIPI) Research Paper No. 2018-10, Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3261329 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3261329

  • (2)  ADER Basile, « L'evolution de la notion d'originalité dans la jurisprudence », LEGICOM, 2005/2 (N° 34), p. 43-49. DOI : 10.3917/legi.034.0043. URL : https://www.cairn.info/revue-legicom-2005-2-page-43.htm

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